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duquel elles vécurent. L’une s’appelait Élysée, l’autre Emma.

C’est Emma que Leconte de Lisle destinait à Louis Ménard. Elle résidait encore avec sa mère à l’île Bourbon et Leconte de Lisle, qui l’avait quittée jeunette, avait conservé d’elle le souvenir d’une beauté plutôt suave. Quand elle vint à Paris, le dessin de ses traits s’était complété. Louis Ménard, dont le goût particulièrement délicat s’offense si facilement des contours qui s’accusent et des finales qui s’affirment, put apprécier en elle de fraîches carnations parées de luxuriants cheveux ; mais, devant certains accents du profil, il se laissa ressaisir par ses tendances de vague idéaliste et, de même qu’il reprochait au frère de terminer les poèmes par une strophe de trop, une strophe de conclusion précise qui ne laissait pas à la pensée le loisir de prolonger suffisamment la sensation poétique, de même il crut pouvoir reprocher à la sœur des méplats trop nets et l’arrêt trop ferme dans l’achèvement du nez.

D’ailleurs, en tous ces arrangements de mariage, ce qui manquait le plus, c’était le moyen matériel de les réaliser. Louis Ménard ne gagnait rien avec sa peinture ; ses poésies lui coûtaient le prix de leur impression et, lorsqu’il avait parlé du projet à sa mère, elle s’en était inquiétée. Le père était mort quelque temps auparavant. Douée d’une grande énergie pratique, la mère avait pris au sérieux son rôle de chef de la maison ; elle se tourmentait à la pensée que l’arrivée d’Emma de Lisle pourrait consacrer un rêve d’union envisagé par elle comme un simple caprice d’imagination ; elle vit avec plaisir que le choc se produisait en sens inverse ; et cependant Louis Ménard a peut-être manqué là l’occasion de connaître les joies sereines du lien conjugal. Il en devait être à jamais privé, car l’essai qu’il en fit trop tard ne fut pas heureux. Mais ce n’est pas son histoire que je raconte et, pour en terminer avec Mlle de Lisle, j’ajouterai que,