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VII



La gloire est la plus capricieuse des maîtresses ; elle se plaît à dédaigner ceux qui sont vraiment dignes d’elle. Indifférente à leurs vœux secrets, elle les laisse s’énerver et trop souvent s’abîmer dans la détresse de leurs espoirs constamment déçus. Pendant les dix années de sa pleine maturité, Leconte de Lisle connut les mornes langueurs d’une pareille attente ; mais, sans renoncer à cette passion si haute, il avait, pour s’en distraire, essayé de l’amour facile et n’en avait gardé qu’une sensation très douce d’épiderme, puis à l’âme la cicatrice saignante d’une trahison. Entre temps, dans son milieu d’ardente jeunesse, bien des combinaisons de sentiments s’étaient ébauchées, Bermudez avait eu la fantaisie de lui faire épouser une sienne cousine qu’il proclamait « le plus pur joyau de la Castille ». Connaissant les hyperboles familières à son ami, ne pouvant pour le cas présent aller les vérifier sur place, Leconte de Lisle s’était tenu sagement en réserve et, par compensation, il avait formé le projet d’unir l’une de ses sœurs à Louis Ménard.

Des trois sœurs de Leconte de Lisle, l’aînée, mariée de bonne heure à un armateur de Bordeaux, M. de Saint-Martin, subit la condition d’éloignement commune à toutes les femmes qui changent de famille ; mais les deux cadettes, que le sort réservait au célibat et qui se fixèrent plus tard à Paris, eurent naturellement plus de part à l'intimité de leur frère, non loin