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tique, voulut imprimer des vers et lut à Leconte de Lisle toutes les pièces qu’il destinait à son futur recueil. Dans le nombre se trouvait un sonnet qui remémore la légende de Raymond Lulle. On sait que ce vieil alchimiste, féru d’amour pour une belle dame, en oubliait les Sciences philosophales. Afin de l’éloigner d’elle et de le rendre aux doctes études qu’il délaissait, elle découvrit devant lui son sein dévoré par la lèpre. C’est une légende analogue à celle dont Hypatie fut, dit-on, la stoïque héroïne. Pour décourager un de ses disciples, aux trop pressants désirs, et pour le ramener à la sagesse, la belle philosophe d’Alexandrie, se prenant elle-même comme exemple de sa démonstration sur la vanité de l’illusion charnelle, sortit, pendant le cours d’une de ses leçons publiques, sa garniture menstruelle et, la développant aux yeux de celui qu’elle voulait convaincre, s’écria : « Voilà ce que tu prétends aimer. »

Les gens délicats goûteront peu ce genre de thérapeutique par trop expérimentale ; mais Louis Ménard en tirait un effet de poésie. S’adressant aux viles enchanteresses dont la perfidie revêt une forme corporelle idéalement séductrice, il s’écriait à son tour :


Miroirs de volupté, beaux lacs aux flots d’azur,
Où se cache toujours quelque reptile impur,
Anges d’illusion, démons aux corps de femmes.

Sirènes et Circés, qu’il est triste le jour
Où, pour guérir nos cœurs des poisons de l’amour.
Vous nous montrez à nu la lèpre de vos âmes !


Victime d’une de ces beautés gangrenées au plus prolond du cœur, Leconte de Lisle arrêta là Ménard et lui dit :

— Dédie-moi ce sonnet. Elle comprendra.

Sans crainte d’erreur, on peut affirmer qu’elle n’a pas compris et j’ai moins confiance dans le succès