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par les dons de l’esprit, fut un parti si négligeable.

À la même époque, Flaubert parlait de lui dans ses lettres à Louise Colet. Le connaissant assez mal, il lui refusait le don d’aimer, lui supposait l’esprit et le cœur empêtrés de graisse, ce qui de sa part revenait à dire qu’il le croyait encore gêné de superfluités sentimentales. Pour Flaubert, quiconque ne courait pas les mauvais lieux devait être étranger à l’amour, et Leconte de Lisle faisait hautement profession de fuir avec dégoût les voluptés d’une matérialité trop basse. C’est ce que Flaubert exprime sans ambages, en français de corps de garde, car il dédaignait de recourir à la décence du latin, même quand il s’adressait à la Muse, la Muse dont il célébrait par propos directs les blancheurs intimes. Et ce vigoureux styliste, qui savait traduire avec une telle vérité les choses familières, était un moindre psychologue. Ce n’est donc pas d’après ses rudes définitions qu’il nous faut juger Leconte de Lisle, mais à travers les sentiments féminins que celui-ci sut éveiller.

La sœur de Thalès Bernard laissa flotter vers lui le plus doux de ses rêves. Bien qu’elle fût petite-fille de jacobin, elle avait suivi les classes d’un couvent, la ville du Midi dans laquelle elle était élevée ne possédant pas d’autre genre d’institution ; mais elle avait gardé son indépendance d’idées jusqu’au jour où l’amour, en sanctifiant son cœur, y fit germer une sorte de levain mystique. Lorsqu’elle eut compris que son inclination n’était pas partagée, désespérant de goûter jamais la joie de vivre, elle chercha son refuge dans la religion, puis alla mourir en Chine sœur de la Mission. Ceux qui se souviennent la voient encore se dresser ardente et vigoureuse pour défendre l’ami choisi, l’être désiré. Thalès demeurait avec elle et leur mère dans l’impasse Sainte-Marguerile, donnant sur la rue du Bac. Le salon de famille réunissait souvent les jeunes gens du clan, et les malices jaillissaient alertes à l’adresse des camarades absents. Ces