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ras. Je ne puis notamment assigner une place exacte à l’anecdote suivante que j’ai souvent entendu conter ; je me suis accoutumé depuis longtemps à la tenir pour véridique et j’éprouverais un réel ennui si j’étais obligé de la déclarer suspecte. Elle a trait au mariage qui, selon le penchant le plus ordinaire des sentiments, terminera cette idylle par un épithalame, et, bien qu’elle se réfère à nombre d’années plus tard, elle devrait être placée là. Telle qu’elle m’est offerte, je la répète.

Donc la jeune parente et sa sœur auraient habité chez leurs tuteur et tutrice, qu’elles appelaient oncle et tante. Prenant de l’âge, les deux vieillards se seraient estimés heureux de la première circonstance qui put mettre fin à des charges dont s’accommodait mal leur idéal tranquille ; ils auraient poussé leur pupille au mariage. Celle-ci, se sentant jolie et redoutant la médiocrité d’un avenir incertain, aurait tout d’abord résisté, dit l’anecdocte, à la demande dont elle était l’objet de la part de Leconte de Lisle. Alors son oncle et sa tante se seraient efforcés de combattre son hésitation par cent sortes d’arguments, entre autres celui-ci : « Tu n’as pas les moyens de faire la difficile. Prétends-tu donc épouser un académicien ? »

L’anecdote se compose bien et s’achève, comme toute bonne anecdote, par un trait. Nous sourions à la pensée de petites gens aveuglées par l’éclat du monde, ne concevant le bonheur que vers des hauteurs de vanité qui le plus souvent en éloignent, et présentant à leur pupille, comme un mirage insaisissable, une impossibilité que précisément l’avenir réalisera. Toutefois j’ai peine à me persuader que, même à cette époque d’obscure pauvreté, Leconte de Lisle ait été traité de si haut et si peu considéré.

Un petit nombre de jeunes gens lui vouaient une admiration indiscutée. Sitôt parus dans la Phalange, ses premiers vers avaient été remarqués par Thalès Bernard, qui sans retard avait voulu connaître l’au-