Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.




VI



Ce fut une heure de malicieux passe-temps, prise sur le destin qui pour lui n’avait pas que des sourires. Chaviré de misère, il s’était vu si près du naufrage qu’il avait dû chercher un abri dans la maison appartenant à la famille Ménard. C’est là que vint le trouver un de ses amis, dessinateur, qui lui demanda des vers pour accompagner quinze compositions sur la Passion. Texte et dessins devaient paraître en album illustré. Je ne puis dire ce qu’il advint de ce projet ; ce que j’en sais, c’est que Leconte de Lisle acheva non sans peine le travail le plus contraire à toutes ses convictions. Le poème entier, les quatorze stations et la résurrection, sentent la besogne de pauvreté. Le souffle manque ; l’art reste froid. Leconte de Lisle ne possédait rien de l’onction évangélique que réclame un tel sujet et qui peut y masquer l’absence de la foi. Sans nul doute, en écrivant cette Passion, il fit son chemin de croix et, s’il l’imprima dans l’édition de ses œuvres en 1858, ce fut un peu par considération pour la peine qu’elle lui coûta ; ce fut surtout par impérieux besoin. Trop pauvre pour négliger le moindre secours, il allait se soumettre à « l’humiliation des charités académiques » et présenter son prochain volume pour l’obtention d’un prix. Dans l’entourage de Louise Colet et dans les milieux de haute intrigue où s’élaborent les candidatures aux distinctions littéraires, on lui persuada que l’addition d’un poème religieux lui ramènerait, à lui socialiste, la sympathie fort peu