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livrer à nu d’agréables blancheurs délicatement veinées.

Villemain ne s’était pas assis. Debout, il avait saisi les doigts ronds et fuselés qu’il débarrassa de l’aiguille et qu’il retint en une sorte de contemplation câline.

— Madame, c’est la main de la Joconde.

— Non, mon ami, c’est la mienne, et je vous la reprends. J’en ai grand besoin pour continuer ma broderie. Qu’avez-vous fait de mon aiguille ?

— Ah ! madame ! Comment pouvez-vous condamner au travail une main si parfaite ? N’a-t-elle pas écrit d’incomparables choses ?

Et, de la main, il glissait au bras moite et suave, puis du bras à la gorge, digne à son avis d’être peinte par la touche moelleuse du Titien : il allait en détailler de trop près le charme réservé pour le mystère ; un léger coup de la broderie s’abattit sur ses doigts maladroits.

— Oh ! Louise… Puisque…

— Taisez-vous, vous laisseriez bien croire…

— On ne croira rien. Est-ce qu’on a jamais cru… Je suis si laid !

Alors, s’excitant de ses premières audaces et s’étant mis à genoux, il reprenait, pour la couvrir de baisers, la main de la Joconde quand, derrière le vitrage, Leconte de Lisle ou Flaubert partit d’un grand éclat de rire. Involontairement les complices avaient révélé leur présence. Il ne leur restait qu’à rentrer au salon sans baisser le ton, comme s’ils achevaient une conversation très amusante ; mais leur brusque intervention avait fait jeter à quatre pattes Villemain qui parut chercher un peloton, le ramasser, puis le remettre à « Louise » avec un « Voici, madame », lancé trop triomphalement. Le trouble, qu’il ne put dissimuler en se redressant, l’empêcha de voir aux lèvres de son amie le pincement d’un imperceptible sourire que Flaubert et Leconte de Lisle s’empres-