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c’est ainsi qu’en compagnie de Flaubert il se trouvait à causer avec la maîtresse de la maison, quand on annonça M. Villemain.

À quarante ans passés, Louise Colet n’avait pas cessé d’être désirable. Le cou, d’une belle ligne sculpturale, s’attachait sans défaillance à la poitrine, dont les carnations claires laissaient deviner entre l’échancrure du corsage leurs grâces encore fermes. Les mains avaient des galbes patriciens, le bras, aimable en ses contours, empruntait aux larges volants de dentelle les plus caressants reflets. Pourquoi, si séduisante encore, voulut-elle demeurer seule avec son vieil ami Villemain ? Mal bâti, la face en bosselage, il représentait un soupirant fort laid, ayant empiété sur la soixantaine ; par contre, comme il était titré : pair de France, deux fois ancien ministre, secrétaire perpétuel de l’Académie française, grand officier de la Légion d’honneur ; ce devait être pour une femme une gloire peu commune qu’un homme aussi symboliquement décoratif fût à ses genoux, alors que des yeux étrangers se trouvaient là pour en être témoins. Louise Colet obéit-elle à ce mobile de vanité très féminine, si féminine même qu’on n’ose l’attribuer à la sœur des Muses, qui ne détestait pas de s’entendre appeler par ses flatteurs « Louise Polymnie » ? D’ailleurs quelques récits de prouesses, dont elle fut l’héroïne, nous permettent de supposer qu’elle plaçait plus haut la satisfaction de son orgueil légitime.

Un jour, elle avait entre autres convives un officier (je crois un capitaine). En attendant de se mettre à table, on vint à causer de George Sand, sur le talent de laquelle le capitaine eut l’inconvenance de s’exprimer sans déguiser son enthousiasme.

— Vous en parlez comme si vous la placiez au premier rang, s’écria Polymnie.

Par métier les soldats ne doivent pas consentir à faire trop promptement retraite. Celui-ci chercha des