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assez. » Et Ménard se tut pour s’entendre condamner à l’amende et la prison. Le soir même, il échappait à l’une et l’autre peine en fuyant sur Londres. Il quittait la France dans les premiers mois de 1849 ; il n’y devait rentrer qu’au dernier mois de 1852, lorsque l’amnistie pour les journalistes fut décrétée sans conditions.

Après Ménard, de Flotte. Depuis leur insurrection de Juin, les républicains vaincus n’avaient plus d’espoir qu’en une révolution socialiste. Attendue de jour en jour et sans cesse ajournée, cette révolution fut misérablement tentée le 13 juin 1849. Ledru-Rollin, prétendant opposer l’énergie d’une Convention aux menées antilibérales de la Législative, alla fourvoyer le siège de cette Convention dans une véritable souricière, au Conservatoire des arts et méliers, où s’était échouée déjà sa manifestation du 15 mai 1848. Naturellement il manqua s’y faire prendre comme un rat au piège ; il eut grand’peine à s’échapper. Là se termina sa politique d’avortement.

Ce fut le glas du républicanisme. Tous les grands chefs partent en exil ; le clergé rentre en possession de ses privilèges ; le suffrage universel est entamé ; la transportation, dite « guillotine sèche », fonctionne en permanence ; la presse est avertie qu’elle doit se taire. Alors les plus faibles se découragent. Leconte de Lisle n’avait pas attendu cette heure suprême pour être de ceux-là. Son état d’esprit se traduit exactement dans les lettres qu’il écrit à Louis Ménard[1]. Du fond de son exil, Ménard gardait une extrême exaltation, entretenue d’ailleurs par un commerce quotidien avec la colonie des proscrits réfugiés à Londres ; mais il ne trouvait pas d’écho dans l’âme de son ami. Désormais Leconte de Lisle se déclare incapable de vivre dans la société des démocrates qui

  1. Ces lettres ont été publiées incomplètement par le Figaro, Supplément, du 4 août 1895.