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V



J’ai dit que les plus nobles poèmes écrits par Leconte de Lisle s’inspiraient de l’esprit de pureté, qu’ils s’attaquaient au mal universel et qu’ils reconnaissaient pour la cause de toutes nos douleurs le désir.

Et ce sera l’occasion de constater une fois de plus la dualité de Leconte de Lisle. Tandis que théoriquement il est possédé d’obsession contre ce malfaisant désir, physiquement c’est à peine s’il en connaît les atteintes. Il avait peu de besoins personnels, nulle gourmandise ; il s’habillait aux magasins de confection, détestait le monde et contentait son goût pour les arts plastiques avec des plâtres qu’il badigeonnait en vieux tons chauds. Son luxe consistait dans les quelques sous nécessaires pour bourrer sa pipe. Il se privait d’acheter des livres. Seul, il eût pu vivre en dépensant cent francs par mois.

Mais il est un genre d’attirance auquel ne résistent pas les cœurs sensibles. Leconte de Lisle avait l’occasion de voir, chez les Jobbé, deux jeunes filles, deux sœurs, orphelines et quelque peu parentes des Jacquemart. Dénuées de toute fortune, elles utilisaient leur goût natif et la dextérité de leurs doigts en façonnant des modes. La seconde, plus casanière que l’aînée, venait moins fréquemment ; mais celle-ci, brune au teint mat, à l’œil velouté, manquait peu de soirées. Elle s’appelait Anna, se parait de toilettes claires à plis libres et, dans le creux des fau-