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mais du « Mal chrétien ». Jusqu’au dernier jour, alors qu’épuisé dans ses forces, il sera tout près d’entrer en l’Inconnu silencieux, il voudra parler encore et, sous son front déjà pâli par l’aube funèbre, résonnera quand même, et comme un écho des jours hautains, le vain défi que son Qaïn lance à Iahveh, l’éternel triomphant :


J’effondrerai des cieux la voûte dérisoire…
Et qui t’y cherchera ne t’y trouvera pas.


Il s’est éteint sur cette négation, dont ses antagonistes se sont fait une arme contre sa mémoire accusée d’athéisme démoralisateur. D’ailleurs qu’est-ce qu’on ne reproche pas aux insoumis de la pensée ? Certains critiques lui firent un crime d’être bouddhiste, c’est-à-dire pessimiste et néantiste, tandis que d’autres lui reprochaient de ne l’être pas assez. Pourtant son âme, en se baignant dans le limon du bon fleuve bouddhique, s’était vivifiée. Auparavant, elle ne pouvait que tressaillir aux cris d’un esclave battu ; maintenant, elle avait la force de s’élever jusqu’à l’expression grandiose de sa pitié ; témoins ces vers que les dames laissaient passer avec indifférence pendant la lecture de Bhagavat, mais qui faisaient palpiter d’enthousiasme le cœur toujours prêt à s’ouvrir de l’excellent de Flotte :


Sombre douleur de l’homme, ô voix triste et profonde,
Plus forte que les bruits innombrables du monde,
Cri de l’âme, sanglot du cœur supplicié,
Qui t’entend sans frémir d’amour et de pitié !


Et, pour avoir partagé cette souffrance avec les opprimés, il atteint les hauteurs du sentiment sublime. Parler de son œuvre sans accorder à cette part essentielle les développements qu’elle mérite, c’eût été vouloir faire une concession indigne de lui. Bien assez