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j’ai peine à me mettre d’accord avec ceux qui jugent Leconte de Lisle un philosophe net et conséquent[1].

Net et conséquent, il ne le fut que sur un point, en son invariable horreur devant les souffrances humaines, en sa haine indélébile contre le Fort qui les dispense au Faible, contre Dieu qui nous en a mis le principe au cœur. Ce Roi des Rois, ce Despote des Despotes, ce Dieu cruel et violent, auquel il n’oppose tout d’abord que les dieux purs des premiers âges ou les divinités de l’Inde douces et tolérantes, il ne le nie pas encore, il le renie ; puis, lorsqu’il aura dépouillé les jeunes timidités, il s’élèvera jusqu’à la pleine négation. Pénétré par la philosophie d’Hegel, comme presque tous les bons esprits de son temps, il en subit les conclusions troublantes à travers Fourier, et bientôt il les dépasse pour arriver à la célèbre formule qu’en a tirée Proudhon[2] : « Dieu, c’est le mal », le mal qui, pour Leconte de Lisle, se résume dans les siècles d’intolérance catholique et de ténèbres :


Hideux siècles de foi, de lèpre et de famine,
Que le reflet sanglant des bûchers illumine !
.................
Siècles du goupillon, du froc, de la cagoule,
.................
Ô siècles d’égorgeurs, de lâches et de brutes,
Honte de ce vieux globe et de l’humanité.
Maudits, soyez maudits, et pour l’éternité[3] !


Voilà le seul thème sur lequel il ne varie pas et reste bien lui-même, le constant, l’infatigable adversaire, non pas du fanatisme religieux (Jean Dornis le rapetisse et le banalise en lui prêtant ce rôle usé),

  1. Jules Tellier, Nos poètes.
  2. Ce qui n’empêchait Leconte de Lisle de traiter Proudhon en penseur néfaste, depuis que le célèbre publiciste s’était fait le détracteur du dieu des clubs, Maximilien Robespierre.
  3. Les siècles maudits (Poèmes tragiques.)