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huitième incarnation de Vichnou, manque de clarté même pour les hommes, et la religion bouddhique, très obscure pour notre temps, l’était bien plus encore à l’époque où les récents travaux de Burnouf venaient seulement de la révéler. Mais aussi ne faut-il pas croire que Leconte de Lisle se soit embarrassé d’en tant approfondir les mystères. Ce qu’il en sut équivaut tout au plus à la matière d’un bon article d’encyclopédie. Quant à ce qu’il en prit, cela tient en deux lignes et ce n’est qu’un principe.

D’un polythéisme touffu, diffus, ondoyant et débordant comme la vie elle-même sous ce climat de soleil et d’eau, de germination et d’éclosion intenses, le bouddhisme, qui prêchait d’abord le dogme grossier de la transmigration, la survivance des êtres par leur séjour en d’autres corps terrestres, arrive à la conception d’une Substance une, à la fois Pensée, Lumière, Esprit, d’où les êtres procèdent et dans laquelle ils rentrent. C’est le panthéisme Çakiamounique, simple, et grand, à l’égal de tous les systèmes panthéistes. Or, entre le premier état et le second, entre le polythéisme multiforme, symbolique, imagé, sonore, qui se prête admirablement au merveilleux de la description, et le panthéisme épuré, grave, presque abstractif, conséquemment moins favorable à la figuration poétique, Leconte de Lisle devait hésiter. Il se rattachait à l’un par ses dons descriptifs, à l’autre par son intelligence. Il a d’abord été frappé par la beauté du décor. Le terrible soleil de l’Inde, sa toute-puissance fécondante, les miracles d’un sol extraordinairement fertile se sont emparés de lui, puis l’ont fait incliner insensiblement à la compréhension des mythes éclos sur cette terre frémissante, habitée par une race affinée, nerveuse, contemplative jusqu’à l’extase ; mais, rebelle à la métaphysique, il est resté sur les confins du symbolisme trop abstrait. Il a reproduit, sans se l’assimiler, la théorie de l’Illusion première, dont il ne pouvait percevoir avec son esprit trop concret tout