Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

journal la Commune de Paris, dont il avait fait son organe ; puis, sûr de la capitale, il voulut étendre son action à la province. Choisissant parmi les membres des clubs affiliés près de cinq cents délégués, il les lança vers toutes les directions avec mission de faire pénétrer le jacobinisme dans les centres modérés, de soutenir aux élections prochaines les candidatures avancées et de surveiller les commissaires et sous-commissaires de la République, qui remplaçaient les préfets et sous-préfets de Louis-Philippe.

Ainsi créés sous l’œil bénévole du gouvernement, mais abandonnés à la direction presque absolue d’un comité central, ces délégués risquaient de se transformer en agents d’excitation, car ils étaient chargés de correspondre chaque jour avec l’agent général du Club des clubs, Longepied, qui recevait leurs rapports au siège du journal et s’en faisait une arme de dénonciation. De plus, payés sur les fonds du gouvernement, celui-ci se flattait de les utiliser pour son expansion administrative et pour sa surveillance. On les érigeait en espions.

Comment Leconte de Lisle put-il consentir à se laisser embrigader parmi ces commis voyageurs du radicalisme extensif, sinon parce qu’il était des plus naïfs et des plus sincères entre les jeunes républicains[1] ? Il fut expédié vers plusieurs centres de la Bretagne, qu’il était censé bien connaître et qu’il avait mission « de remuer profondément » ; mais, dans ce pays de féodalisme provincial, de superstition héréditaire, de vie avaricieuse et rude, les théories jacobines avaient besoin d’être, plus que partout ailleurs, étayées avec de l’argent. Les cinq cent mille francs que le gouvernement provisoire accordait sur les fonds secrets pour les « Missionnaires de la République »

  1. Il s’élait laissé certainement entraîner par ses amis Jobbé-Duval et Jacquemart dont je parlerai plus loin et qui furent également délégués en Bretagne.