Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devait escompter l’éclat, singulièrement accru par la récente publication du Qaïn ; on peut donc imaginer de quelle stupeur effondrée, de quel morne accablement furent frappés ses amis, quand, le surlendemain du jour où l’une des réunions avait acclamé son nom, ce nom, considéré la veille comme un parangon de républicanisme, parut dans un fascicule du Recueil des pièces trouvées aux Tuileries après le 4 septembre. Parmi des notes relatives aux dépenses de la Liste civile de Napoléon III, Leconte de Lisle figurait pour avoir touché, depuis juillet 1864, une pension annuelle de trois mille six cents francs, et c’était au total une somme de vingt et un mille six cents francs qu’en ces six dernières années il était allé recevoir avec une déplorable régularité d’humiliation mensuelle, au bureau des dons, grâces et secours, dans le Palais même de « l’assassin de la République ». Par surcroît de confusion, son nom si noble jusqu’à ce jour se trouvait mêlé stupidement aux noms de complices de Strasbourg, de serviteurs du régime, de spéculateurs même et, comble de l’ironie, à des noms d’agents politiques versificateurs.

Ainsi non seulement Leconte de Lisle touchait les douze cents francs alloués par un ministère bonapartiste, mais il était un des pensionnés de la Maison de l’Empereur, un de ceux que les Républicains d’alors flagellaient de cette épithète : « les mendiants de Badinguet ». Un cri de réprobation s’éleva d’entre ces Républicains, qui ne se gênèrent pas pour exprimer leur incommensurable dédain. Deux ou trois ans après et par maintes reprises, Ranc relatait encore et sur un ton acerbe, la regrettable compromission. D’autres, non moins généreux d’âme et de foi républicaines, ressentirent une poignante douleur. Le plus fervent sectaire de l’honneur du parti, Delescluze, s’attrista de cette déchéance matérielle de Leconte de Lisle, comme d’une amère défaite.

Quant aux amis ils eurent quelque peine à