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francs presque soudainement retranchés du revenu. L’un de ses intimes se trouvant près de lui lorsque lui parvint l’avis de la suppression sollicitée par l’Archevêque et cet intime s’effarant de la nouvelle, Leconte de Lisle le rassura, prétendant qu’il préférait cette solution, car les pensions, affirma-t-il, entraînent pour celui qui les reçoit une idée de diminution morale et d’amoindrissement.

Et certes, en cet instant, il parlait sincèrement. Son âme haute savourait le plaisir d’être enfin soustraite, au moins pour la part qu’on lui retirait, à la honte des bureaux de secours, au supplice des charités qui dégradent ; mais en même temps, comme il était inapte à remplacer par un gain régulier les traitements de privilège, comme il fut presque aussitôt ressaisi par les suggestions de la vie quotidienne, il courut chez Catulle Mendès, lui fit part de la fâcheuse aventure. Trop fier pour demander directement une intervention, il savait cependant l’effet que l’annonce d’un avenir de misère produirait sur un esprit aussi prompt à l’action que l’était celui de Mendès. Sans perdre un jour, Mendès mit en campagne Vitu qui, depuis la retraite de Grandguillot, jouait un rôle important à la rédaction du Constitutionnel et du Pays. Vitu sut intéresser un personnage influent de l’Empire, qui fit accorder à Leconte de Lisle, sur les fonds du ministère de l’Instruction publique, une pension de douze cents francs. Bien que l’obtention de cette pension n’eût pas été facile, les amis de Leconte de Lisle jugèrent le taux par trop modeste. Sans corroborer leurs plaintes en y joignant les siennes, Leconte de Lisle les laissait pourtant s’exhaler et, vu l’apparente mesquinerie du bienfait, on ne remarquait pas qu’il aurait peut-être pu cesser de dauber sur le Césarisme. Ayant toute sa vie fait état de républicanisme, par cela même qu’il avait constamment dit du mal de l’Empire, il continuait d’en dire et cette attitude hostile ne surprenait personne.