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à la place des éloges personnels qu’il attendait, une profession de foi tout admirative pour le frivole auteur des Poésies érotiques et des Galanteries de la Bible. Il répliqua sur un ton d’ironie pincée :

— Parny ! n’a-t-il pas écrit des poèmes un peu légers ?

Sur quoi le chanoine, changeant brusquement d’attitude et d’accent, décocha le trait que, depuis le début du colloque, il aiguisait :

— Légers ! Vous pouvez bien dire orduriers… mais jamais impies.

Impies ! Le mot fut lancé droit entre les yeux, comme un opprobre au front. Leconte de Lisle en put d’autant moins éviter l’atteinte que les premières phrases de l’entretien, conduit avec une adresse si perfide, l’avaient prévenu tout différemment. Il sentit l’inutilité d’une réplique. L’Église s’est réservé le droit d’indulgence envers les péchés les plus graves, pourvu que le fond du dogme n’en soit pas entamé ; mais ce serait accepter la négation d’elle-même que de pactiser avec les athées, Leconte de Lisle, qui venait de braver en son Qain le Dieu de la Doctrine, devait être rejeté dans la tourbe des mécréants, rayé du monde et de la poésie, bien qu’il eût affirmé magnifiquement, en strophes d’airain, son doute contempteur ; mais Parny, qui pourtant n’avait pas craint d’affubler de grâces profanes Dieu, la Vierge et les Saints, pouvait obtenir certaines rémissions, car il avait travesti seulement en leurs formes extérieures les puissances du ciel catholique, sans attenter à leur essence surnaturelle, à leur hiérarchie reconnue. Petit poète dameret et marjolet, ex-officier de dragons comme Bertin, ce Parny des boudoirs avait amusé de son galant badinage la Reine et les marquises avant de faire les délices des muscadines de Thermidor ; un prêtre pouvait oublier ses blasphèmes et le compter dans la littérature. Cependant sa Christianide avait été brûlée manuscrite par la Restauration, tandis que