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son génie à des interprétations supérieures, peut-être eût-il laissé des œuvres plus noblement attachantes, plus puissamment émouvantes que ses excellents exercices de juxtaposition qui ne sont même pas à l’égard des poèmes d’Homère ce que seraient les envers de belles tapisseries.

Leconte de Lisle pouvait-il donc se persuader sincèrement que son système de littéralité figurative avait seul le pouvoir de rendre le vrai caractère des êtres et des choses antiques. Pour me borner à cet exemple, qu’est-ce que l’emploi d’un tel système ajoute au Qaïn, que je citais tout à l’heure. En ces strophes de révolte contre le Mal originel, le Jéhovah, dont Leconte de Lisle dénonce l’iniquité première, le Tourmenteur jaloux et farouche que réjouissent les supplices et le massacre, est désigné sous la forme hébraïque lahveh (Yahwé celui qui est) ; paré d’une partie des attributs que lui prête le Mosaïsme, il est matériellement conforme aux données de certains passages bibliques ; cependant, sorte d’anthropomorphe, il apparaît comme un Moloch de théâtre, comme un mannequin de frise, avec lequel le Révolté se prend corps à corps ainsi qu’avec un diable de carton[1]. Car ce lahveh, tortionnaire aux mains rouges de sang et qui semble bâti pour l’artifice du poème

  1. Afin d’exterminer le monde qui te nie
    Tu feras ruisseler le sang comme une mer,
    Tu feras s’acharner les tenailles de fer,
    Tu feras flamboyer, dans l’horreur infinie,
    Près des bûchers hurlants le gouffre de l’Enfer ;

    Mais quand tes prêtres, loups aux mâchoires robustes.
    Repus de graisse humaine, et de rage amaigris,
    De l’holocauste offert demanderont le prix.
    Surgissant devant eux de la cendre des Justes,
    Je les flagellerai d’un immortel mépris.


    (Poèmes barbares).