Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marqueterie, de réincrustation mécanique qu’on peut y parvenir, mais par une lumineuse récréation dont seuls semblent capables les grands intuitifs.

De telles traductions, sortes de réincarnations qui ressuscitent tout un monde enseveli dans l’oubli des âges, sont-elles possibles ? On a répondu par la négative. Or, en l’absence de telles œuvres qui peut-être ne sortiront jamais du domaine du rêve, ne saurait-on reconnaître, avec les lettrés du dix-septième siècle et du dix-huitième, l’inutilité de l’effort pour restituer au poème antique la patrie qu’il a perdue ; ne peut-on se contenter de créer à ce poème une autre existence en un milieu d’adoption et, puisque le génie des langues modernes s’est éloigné du génie des anciens idiomes, puisque la vie des mots n’est plus la même, puisque la variabilité dans l’ordonnance des phrases et dans la valeur relative des inflexions a modifié le moule de la pensée, puisqu’à trois mille ans de distance des formules similaires, répondant à des états d’esprit distincts, évoquent des visions ou des sensations souvent disparates, puisque l’expression de la beauté résulte d’harmonies différentes, n’appartient-il pas aux intelligences les plus hautes de renoncer à des essais de décalque stérile, pour s’efforcer de rendre au moins, à défaut de l’intime pensée qui nous échappe, un reflet de l’inspiration sublime, une lueur de la grandeur imposante de l’ensemble. Et, puisque les traductions littérales de l’Antique risquent trop souvent d’aboutir à la cacophonie des mots, au désaccord des idées, n’est-ce pas plus compréhensif et plus sage de se résigner, comme l’ont fait nos pères, à des traductions littéraires.

On a beaucoup vanté celles de Leconte de Lisle ; on les a surtout vantées pour l’accabler sous une gloire de professeur. Elles ne sont que de la besogne faite pour le gagne-pain ; besogne intéressante comme toutes celles auxquelles il consacrait ses peines ; mais, si poète il eût osé traduire en poète, s’il eût appliqué