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pour l’épouvante du monde, il faisait, au mépris des textes et de leurs nuances, un simple archer ; systématiquement il le ramenait, ce vengeur infaillible, au titre même dont se parent les hommes incertains et faibles. Et sans nécessité littéraire, au plus grand détriment de l’effet pittoresque, il donnait encore une fois l’exemple de la dérogation à la loi nouvelle qu’il avait posée pour tous les traducteurs.

Rien n’est plus spécieux et d’une prétention d’exactitude plus illusoire que le décalque des noms propres. Pour la plupart d’entre eux, on ne sait pas exactement comment ils se prononçaient et leur transposition en syllabes françaises les fausse au moins phonétiquement. La valeur relative des lettres elles-mêmes est très incertaine. Lorsque Leconte de Lisle publia son Kaïn dans le Parnasse, il avait d’abord écrit avec un K le nom du déshérité qu’il réhabilitait. Dans la réédition des Poèmes barbares, il modifia cette orthographe parce qu’il lui fut observé que le premier-né selon la Genèse avait été nommé par Ève « Celui qui est acquis ». Du verbe hébraïque qoûn, acquérir, serait dérivé Qaïn. Mais je ne sais quel savant entreprit de lui démontrer que la forme consacrée par tant de siècles, la forme Caïn, avec un C, telle que nous l’avons tous épelée sur les genoux de nos mères, est la meilleure. Je ne me porte pas garant des arguments invoqués par ce savant, peut-être facétieux ; je les signale seulement parce qu’ils m’offrent l’occasion de constater que tout essai pour établir une équivalence figurative des noms anciens dans les langues modernes est un essai précaire. Ce ne peut être, ce ne sera jamais qu’un jeu d’amusette.

Non, si l’on veut faire une traduction évocatrice, qui rende à la fois l’élan religieux, le souffle héroïque, la rudesse touchante et les grâces naïves, la simplicité sublime des récits primitifs, si l’on veut faire vibrer l’âme épique des plus puissants chantres de l’image et du nombre, ce n’est pas par un travail de contre-