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qui tua le serpent Python et les Cyclopes et les Niobides, ce nom de force vengeresse et de mystérieux rayonnement, devait éveiller une suggestion religieuse, le pieux émoi d’une crainte superstitieuse, corroborée, fortifiée par tout ce qui se rattachait de souvenirs au maniement de l’arc et des flèches. Quelle idée de l’inéluctable pouvoir de l’Archer-dieu devait se faire le témoin des incessants efforts nécessaires à l’homme pour entretenir l’œil et la main dans la pratique du jet, dont la portée ne dépassait pas deux cents mètres à peine ; et, comparés aux coups infaillibles lancés des profondeurs invisibles, qu’étaient les coups d’adresse des tireurs les mieux exercés, dont la puissance d’atteinte se trouvait arrêtée dans les limites imposées à la faiblesse des hommes. Voilà ce que Leconte de Lisle voulait essayer de faire comprendre en évitant une expression traduite qui ravalerait Apollon au rang d’un ordinaire lanceur de traits. Il avait donc hardiment adopté la forme figurative et transcrit, au premier chant de l’Iliade, dès la seconde page, ces paroles du prêtre Chrysès : « Rendez-moi ma fille… si vous révérez le fils de Zeus, Hékébolos Apollon. » Mais un de ses amis, Louis Ménard je crois, objecta que, si l’expression « lanceur au loin » ne représentait pas toute la valeur mystérieuse du mot grec Hékébolos, ce mot représente moins encore, puisque le sens en échappe à tous ceux qui ne savent pas lire Homère à livre ouvert. Et, dans son embarras, Leconte de Lisle prit un parti qui non seulement ne répondait pas à son système de littéralité, mais ne respectait même plus les différences du texte. Quelle que fût la qualification d’Apollon « qui frappe au loin » ou bien « à l’Arc d’Argent », il la traduisit indistinctement par « l’Archer Apollon ». Et du dieu qui tient la vie des mortels à la pointe d’une flèche en se jouant des distances à travers les plus vastes espaces, du dieu dont l’arc brille scintillant et terrible avec des cinglements de pur métal, du dieu dont le carquois résonne