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simple report syllabique, semble d’emploi strict et de logique infaillible. Par malheur la conception en était plus aisée que la réalisation. Leconte de Lisle, en dépit de son absolutisme, ne put en faire l’application avec une rigueur exempte de contradictions. Ainsi, pour le nom du peuple qui domine toute l’Iliade, pour les Troyens, il n’osa pas le défigurer en restant fidèle à son système ; il lui garda la forme usuelle avec la finale en ien, bien que la désinence hellénique ne justifie pas cette finale. Par symétrie probablement et sans plus de nécessité figurative, il changea les Thraces en Thrakiens, les Énètes en Énétiens, alors qu’il fit retour à son principe pour transformer en Païones les Péoniens, en Paphlagones les Paphlagoniens.

Et ce genre de dérogations presque inévitables n’aboutit pas seulement à des différences de mécanisme phonétique, il produit aussi dans le mouvement des scènes et dans l’allure du style de véritables désharmonies. Au moment où Pâris et Ménélas vont se disputer Hélène en combat singulier, Agamemnon en appelle sur l’issue de la lutte aux Divinités des Éléments. Et ces Divinités, qui paraissent au même titre dans l’invocation, Leconte de Lisle ne les énumère pas sous leurs noms traduits tous également. Soleil, Fleuves, Terre, ni sous leurs noms grecs Hélios, Potamoï, Gaïa, transcrits littéralement ; mais, reculant devant Potamoï, assez difficile à faire accepter en une traduction qui se prétend française, il adopte cette forme d’incohérente disparate, de compromis partie grec, partie français : « Hélios, Fleuves et Gaïa », de sorte que, ramenés seuls à la terminologie moderne et placés entre deux forces divinisées de la nature qui gardent la structure originelle de leurs dénominations mythiques, les fleuves, dépouillés par ce contraste de la personnalité supérieure qui reste aux autres, ne semblent plus de même essence et se trouvent réduits à l’apparence d’un vocable purement géographique.