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s’envoler et retombaient figées. Très fier, Leconte de Lisle éprouvait un certain malaise devant cet accueil si peu chaleureux, car chez Victor Hugo, les familiers, jusqu’à la venue du maître, restaient en expectative vis-à-vis des nouveaux invités. Leconte de Lisle, après vingt minutes d’attente réfrigérée, vint prier Vacquerie de le présenter à Meurice, mais la glace ne pouvait se rompre sans que le Maître en eût donné le signal. Enfin, suivant sa coutume, Victor Hugo parut à huit heures, en veston, et tous les invités se levèrent, même les dames dont il baisa la main successivement, comme à la défilade. Mme Leconte de Lisle s’était trouvée gênée d’avoir, en se tenant debout, à rendre un hommage quasi royal et de ne recevoir en retour qu’une part de la distribution banale, alors que, femme de poète et de grand poète, elle ne devait pas laisser paraître qu’elle pût placer si haut au-dessus de son mari cette Majesté de la hiérarchie littéraire, ce maître des maîtres exigeant des façons d’honneur dues seulement aux souverains. Elle en éprouva le plus naturel des dépits et les choses prenaient un tour assez désobligeant, Leconte de Lisle commençait à regretter la mortification à laquelle il était venu s’exposer quand, à table, après le potage, Victor Hugo, se tournant vers lui, fit cette déclaration : « Mon cher confrère, je dois vous dire que je passe, tous les jours, une bonne heure de ma matinée dans la compagnie d’Eschyle, dans la vôtre par conséquent. » Il ne craignait pas de se livrer à pareille revirade devant les mêmes personnes qui, six mois auparavant, avaient entendu de sa bouche cette affirmation qu’Eschyle n’était pas encore traduit. Toutefois cela suffit pour que le ton fût donné. L’accueil se fit souriant. Ainsi, malgré son peu de sincérité puisqu’il chantait la palinodie, Victor Hugo s’était ménagé le beau rôle, qu’il se garda de jamais perdre. À chaque nomination académique, il vota pour « son cher confrère[1] » et parut le désigner

  1. La seconde fois ce fut en 1877. Leconte de Lisle s’était