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ne saurait les retrouver. L’un des invités intervient avec des procédés d’enjôlerie violente ; il prétend que Victor Hugo n’a pas le droit de se récuser sans se rendre responsable du plaisir supérieur dont les personnes présentes seront privées. « Je vais vous aider à les chercher » dit-il, et Victor Hugo, qui n’était pas fâché d’être violenté, réclame une bougie, puis, suivi de l’invité, passe dans le cabinet de travail. Hugo n’aimait à travailler qu’en mouvement ; il écrivait debout devant un pupitre sur lequel, ce soir-là, deux cents feuillets étaient posés en tas. Il cherche, fait tomber la moitié du tas. L’invité se baisse ; Hugo l’arrête, retrouve les vers et revient les lire au salon. Ce salon n’était pas celui de la rue Pigalle, tout en longueur et que Victor Hugo quitta parce qu’il ne pouvait y recevoir commodément ; c’était le beau salon de la rue de Clichy, très vaste et si décorativement arrangé que Théodore de Banville en prenait prétexte pour dire : « Si Victor Hugo n’était le plus grand des poètes, il serait le plus grand des tapissiers. » La société s’y pressait nombreuse, tout éveillée de curiosité dans l’attente des vers arrachés à la bonne grâce du maître. C’étaient des vers de rancune ; je ne saurais les citer exactement, sauf peut-être celui-ci :


Les gens du Figaro sont de mauvaise foi ;


sur quoi Vacquerie, ne pouvant contenir son émotion, s’écria : « Comme c’est vrai ! » sans s’apercevoir qu’en insistant sur un tel vers il soulignait ce que la pièce entière avait de prosaïque. La lecture achevée, les admirateurs présents, parmi lesquels était Flaubert, crièrent au sublime et cette affirmation d’enthousiasme semblait devoir assurer la publication du poème au souvenir duquel la chute des feuillets, la peine qu’aurait le maître à les remettre en ordre le lendemain, attachait pour l’auditoire un souvenir particulier. Pourtant ce poème ne fut pas imprimé.