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lors de la reprise de Ruy-Blas, il est salué par Ernest d’Hervilly. Les mains se serrent ; quelques mots s’échangent. D’Hervilly faisait alors partie de la rédaction du Rappel ; il explique qu’il vient pour la reprise : « Ah, ah ; vous allez voir le domestique », repart Leconte de Lisle en dardant son regard d’ironie. Le domestique ! Par cette épithète servile et rabaissante se trouvait qualifié Ruy-Blas, laquais amoureux de sa reine et qui devient grand homme d’État, type de pur artifice, créé par une sorte de défi d’imagination en contradiction avec les règles les plus élémentaires de la logique et de la Nature, mais que sauvent, comme en toute œuvre de Victor Hugo, l’éblouissement du vers et le lyrisme étincelant. Strictement le mot était juste et l’on pouvait négliger son intention malveillante en faveur de son appropriation critique. D’Hervilly ne vit pas malice à le répéter à ses collègues, qui le reportèrent aux autorités du lieu, Meurice et Vacquerie. Par eux il arriva jusqu’au maître, que les moindres brocards exaspéraient au point de lui laisser au cœur des rancunes indélébiles.

Toutefois ces rancunes, qui ne s’effaçaient jamais, pouvaient au besoin se dissimuler sous le masque de la politesse. Pour Victor Hugo quiconque n’était pas un flatteur était un ennemi ; mais, tendant sans cesse le front aux hommages, aimant la caresse même des plus humbles, il admettait facilement à résipiscence tous ceux qui las d’être hostiles s’offraient à changer d’attitude.

On sait que, pendant les années qui suivirent la Commune, le Figaro ne négligeait aucune occasion de marquer sa malveillance à l’égard du grand proscrit qui, dans la maison de Bruxelles, avait offert une hospitalité libérale à plusieurs réfugiés. Lassé par d’incessantes attaques celui-ci crut assurer la durée de sa vengeance en en fixant le souvenir par la poésie. Certain soir de réception il annonça qu’il avait fait des vers. On lui demande de les lire ; il prétexte qu’il