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comme cela se produisit plus tard, que pour elles les hommes ne dussent point être des hommes. Une demoiselle Martinez del Rio, devenue Mme Sangel, quelque peu parente des Jacquemart, bonne musicienne et très affable, gardait l’effacement de son rôle d’auditrice avec les mêmes façons d’être discrètes et réservées qui caractérisaient alors son amie Mme Leconte de Lisle.

La femme du cousin Foucque venait également avec sa fille, Mme Leforestier. Celle-ci, mariée en premières noces à un employé de l’administration des Finances, portait avec un grand charme une souffrance. Leconte de Lisle eut pour elle une douce et tendre admiration de poète ; elle fut pendant quelques années l’inspiratrice de son rêve, son génie familier. J’en ai parlé sous le voile et rien ne saurait effleurer les sentiments de respectueuse estime que cette personne délicate et charmante est digne d’inspirer.

Ainsi l’ancien salon était le salon d’hommes, « le salon mâle », comme l’a défini l’un des habitués pour le distinguer du dernier salon tombé très aristocratiquement en quenouille. Il fallait que l’intérêt en fût sérieux, car Mendès et Judith ne manquaient pas une seule des réunions hebdomadaires. Ils habitaient Neuilly. Les soirées, toutes vibrantes de luttes, se prolongeaient tard et, l’hiver par le froid, la neige ou la pluie, les rentrées étaient nécessairement difficiles. Marras, qui demeurait également hors barrière, au grand Montrouge, non loin du fort de Vanves noctambulait à travers les mauvais chemins de la banlieue déserte. Et ce sacrifice des retours pénibles, tous les familiers l’eussent fait aussi volontiers. Leconte de Lisle, lui-même ne semblait vivre que pour son samedi. Désormais reconnu chef par les jeunes lettrés qui l’entouraient avec tant de zèle fidèle, il prit conscience de sa valeur que rien d’extérieur n’avait encore manifestée, ni les relations, ni le gain, ni la notoriété.