Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vraisons du second Parnasse en 1869. La Part de Magdeleine fut récitée par Agar à la salle Gerson où les Parnassiens avaient organisé des soirées de déclamation.

Florence Léonide Charvin, dite Agar, a laissé dans les Biographies officielles le souvenir d’une beauté sculpturale, animée par une ardente expression du regard et par une toute-puissance tragique de la voix. Mais, si de la complaisante exagération des formules imprimées on dégage la véritable apparence, on ne voit plus en cette interprète des débuts parnassiens que la plastique d’un bel animal, d’une nature physiquement vigoureuse, intellectuellement chétive. N’entendant rien aux vers qu’elle déclamait, Florence Léonide s’appliquait à sa diction avec toute son énergie, sans ménager « les coups de gueule » qui trahissaient la vulgarité de son accent. De matière forte et sensuelle, elle put faire passer parmi ses auditeurs le frisson charnel qui se mêle à l’élan mystique dans la Part de Magdeleine ; elle ne rendit rien de cet élan. Pourtant, bien ou mal dite, une récitation à la salle Gerson sanctionnait un poète. Le travail de préparation des lectures donnait lieu, derrière les coulisses, à de réels conflits, Agar se refusant à déclamer les vers de tel poète auxquels elle préférait les vers de tel autre. Elle choisissait aussi les morceaux qui lui semblaient s’accorder le mieux avec ses effets d’yeux de panthère, avec le diapason de sa voix qui manquait de prolongement. Anatole France bénéficia tout au moins d’une adaptation physique approximative et ce fut pour lui le début d’une célébrité qui ne devait plus cesser de grandir. Déjà ceux de ses amis qui ne se laissaient pas impressionner par ses apparences hésitantes, par l’air d’emprunt caractérisant l’homme qui se cherche sous l’enveloppe incertaine du jeune homme, ceux qui savaient pénétrer dans son intimité cérébrale, subissaient l’influence du charme rayonnant que dégageait sa vive compréhension des choses.