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de son unité d’efforts. C’était peut-être trop dédaigner les jeunes novateurs qui par ailleurs étaient trop flattés ; mais la prudence de Coppée l’a du moins guidé loin des écueils auxquels France s’est constamment heurté. France s’engage à fond en des situations qu’il n’aura pas la force de faire tourner à son avantage ; de là ses semblants de complaisance exagérée suivis de retours en arrière, d’abandons brusques, dont on le blâme et qui prouvent seulement la spontanéité de ses élans ; car, en dépit de tout ce qu’on a pu prétendre, Anatole France obéit à la franchise de ses impulsions. À part quelques malices assez innocentes au fond, à part des velléités de combinaisons qui n’ont jamais de suite, il est avant tout un sincère, à moins qu’on ne refuse ce qualificatif à l’homme qui sait se connaître et s’apprécier sans user de détours vis-à-vis de soi-même, qui sait entendre la vérité, apprécier pour ce qu’elles valent toutes les vanités, être généreux de cœur et de bourse, négliger presque toujours la politique des sentiments, ignorer l’envie, que sais-je encore ? Si c’était ici la place de fouiller la psychologie d’Anatole France, je découvrirais dans l’âme de cet ironiste à double fond bien des vertus latentes et très probablement un bon nombre de celles aux dépens desquelles il divertit son public avec le plus déconcertant des scepticismes. Ceux qui le jugent sur son badinage moral et sur ses enjouements de rhéteur dilettante, ceux qui ne connaissent de lui que ses suggestions spécieuses trop conformes au goût d’une clientèle morbide pour laquelle les plus nobles aspirations vers le devoir, les plus grands préceptes de réciprocité sociale ne peuvent être qu’un article d’amusette, un thème à jeux d’esprit, ceux qui l’évaluent au taux de son M. Bergeret, de cet intellectuel à surprises qui flagorne sur son cocuage et qui déclare les décorations, les honneurs parfaitement méprisables « mais après les avoir eus », ceux-là sans doute ignorent ce qu’il y a de vraiment beau dans son œuvre, ses