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dépens du plus fort, ils ont écarté Britannicus, Phèdre, Andromaque, Athalie si riches en admirables vers et qu’ils ont dépréciés pour ne laisser le titre de chefs-d’œuvre qu’à Bérénice, tragédie de complaisance, écrite avec l’arrière-pensée de flatter les amours de Louis quatorze et de Marie Mancini, à Mithridate où les situations absurdes et les vers médiocres abondent. De degrés en degrés, de sophismes en sophismes, afin d’établir que le maximum de génie n’appartient pas à qui peut traduire l’épique et l’héroïque mais à qui fait du dramatique, ils ont proclamé Maurice Bouchor un grand poète, sans le moindre souci des proportions.

Ainsi répondaient-ils aux besoins de faiblesse morale de leur temps. Tous ceux qui ne se sentent pas nés pour le rôle de la force, qui ne vibrent pas aux grandes choses et ne savent pas se passionner dans les efforts du cœur, se sont trouvés heureux de voir nier ce dont leur tempérament ne les rendait pas capables. Il leur convenait que la loi de l’existence fût établie selon leur manière d’être dont ils résumaient ainsi la tendance. « Rien du monde et de la vie ne mérite qu’on le prenne au sérieux, qu’on le pousse au tragique. Les gestes violents empruntent la laideur de tout ce qui s’exagère. C’est dans la douceur de l’ironie, dans la sérénité de l’indifférence que réside la suprême élégance ». Et, par une conséquence logique, leur savoir-vivre moral a répudié les grands principes dont la rigueur enchaîne, disent-ils, nos actions et nous broie dans l’étau des disciplines obligatoires. Ils ont donc étendu la plus large tolérance à nos faiblesses et proclamé la légitime autorité du laisser faire ; car, suivant eux, l’être qui doit garder la libre disposition de tout ce qui constitue les fins de son individu, ne saurait rien aliéner de ses droits, fût-ce ses droits à la paresse, ses droits au vice, si le vice est dans le développement naturel de son tempérament. À cela nous répondons