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Houssaye. Par bonheur pour lui, ces distinctions quasi techniques ne sont pas entrées dans le courant de l’opinion et n’ont pu nuire au succès de ses récits napoléoniens. Le public a consacré le mérite de ces récits par un excellent accueil, en tous points semblable à celui qu’a reçu partout et toujours leur auteur ; car, si Henry Houssaye a manqué de quelque chose pour l’obliger à se surpasser, c’est peut-être d’ennemis.

J’ai dit qu’Henry Houssaye causait peu, mais il causait avec une « douce honnêteté » suivant l’expression dont se servait Leconte de Lisle pour le définir. À cette sagesse discrète on opposait les fantaisies oratoires de Jean Aicard, qui piquait volontiers la tangente, s’élançait en trait de flèche sur des idées accessoires, de même que dans ses poèmes il part quelquefois d’une rime pour greffer sur elle dix vers parasites. Il gardait dans le débit de la conversation un peu de l’afféterie dont il ne pouvait se défendre lorsqu’il récitait des vers en coquette qui glisse des œillades vers la galerie. Et ce qui contribuait à rendre plus sensible de sa part cette apparence minaudière, c’est qu’il était trop gentil. Son air joliet empêchait l’auditeur de prendre au sérieux sa diction. Maniérisme de jeunesse. La maturité n’a pas manqué de répandre sur la grâce apprêtée de Jean Aicard un peu de gravité qui lui sied aujourd’hui.

C’est également une façon d’être de jeunesse qui gêna les débuts d’Anatole France dans le salon de Leconte de Lisle et l’on ne saurait proposer de meilleur exemple pour montrer combien c’était difficile de prendre pied dans ce salon. Anatole France devait y figurer plus tard parmi les plus intelligents causeurs et ceux de nous qui l’ont connu par la suite savent qu’en prenant une conscience plus complète de lui-même il devint un délicieux charmeur. Mais quand, à vingt-trois ans, il fut présenté chez Leconte de Lisle, il n’avait pas encore dépouillé les allures hésitantes