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Celles-ci n’avaient pu franchir le seuil du Premier Théâtre français, non pas qu’elles eussent subi l’affront d’un refus. Leconte de Lisle était trop orgueilleux pour leur en avoir fait courir le risque ; mais Catulle Mendès se trouvait alors en relations avec le Théâtre où Croizette et Bressant venaient de jouer l’acte en vers de la Part du Roi. Leconte de Lisle le pria de consulter l’administrateur Perrin et de savoir de cet administrateur s’il aurait quelque chance d’être bien accueilli par le Comité de lecture. Le manuscrit fut donc remis à Perrin, qui le lut et le rendit en n’engageant pas à pousser plus loin la tentative. Faute du Premier, ce fut au Second Théâtre français qu’échut la tragédie. Elle n’eut guère qu’une trentaine de représentations et ne rapporta que mille quarante-cinq francs de droits d’auteur à Leconte de Lisle[1] ; elle le fit souffrir pour plus de dix mille. Le fait suivant suffit pour en témoigner.

Le rôle de Kallirhoé, l’une des femmes de la maison d’Électre, était tenu par une actrice qui ne pouvait consentir à prononcer les e muets, même lorsqu’ils comptaient pour une syllabe dans la mesure du vers. Elle disait ainsi :


Femmes, sur ce tombeau cher aux peupl’s Hellènes
Posons ces tristes fleurs auprès des coup’s pleines.


Peu-ples, Cou-pes, reprenait Leconte de Lisle en appuyant fortement sur la seconde syllabe et, comme l’actrice redressait aussitôt sa crête de poulette agacée, Leconte de Lisle baissait le ton, laissant percer son irrémédiable timidité devant les femmes. Il essayait encore de protester, mais, avec des hésitations de petit garçon :

  1. La rémunération n’étant pas proportionnelle à l’effort, Charles Blanc titulaire de la direction des Beaux-Arts, accorda mille francs à Leconte de Lisle pour « le travail de Littérature ».