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vers qui révélaient des tendances sérieuses, se consacrant à la poésie darwinesque ce qui n’était pas pour déplaire au Parnasse, comment Cazalis, esprit très pénétré de notions dont il saisissait le sens étendu, ne prit-il pas une autorité de tout premier rang ? C’est que son intelligence des choses était contrariée par une sorte de préconception artificielle et vaguement fantomatique. Matérialiste par profession, transformiste par doctrine, pessimiste par nature, il masquait ce fond de tempérament très personnel sous une sorte de décorum idéaliste, dont la qualité sentait l’alliage et ne semblait pas d’aussi pur métal. C’est ce qu’on appelait « son chrysocale ». Il chantait l’amour purifié, se lamentait de ce que le vieux sang de la honte originelle fût resté dans son corps. Ambitieux d’affranchir son âme, il exaltait les femmes comme des êtres d’idéalité qui doivent se nourrir de parfums et de fleurs. Et c’est là ce que les Parnassiens traitaient de faux luisant, de mirage factice. N’étant point eux-mêmes des grignoteurs de roses, ils prétendaient qu’on ne se délivre pas de la matière, que les soi-disant mangeurs d’air sont le plus souvent de grands mangeurs de chair et que les femmes les plus exigeantes en propos d’idéal sont celles qui se régalent le mieux de gigot et de ratatouille. Ils croyaient voir en de tels élans transsubstantiels quelque chose de conventionnel et de précieux qui touche à la parade. Je n’ai pas à rechercher si la vie d’Henri Cazalis leur donne un démenti. Les anecdotes qu’on a produites pour élucider ce point de psychologie sortent des limites que je me suis assignées ; ne devant pas les rapporter, j’ai négligé de les vérifier et, faute de conclusions particulières, je me contenterai de cette réflexion générale. C’est la condition des hommes, qu’ils soient ou non poètes, d’être impuissants à se délivrer de la matière ; Lamartine, le doux chantre d’Elvire, l’auteur de romances pour les anges, n’était dans la pratique courante de la vie qu’un athée charnel. Sa