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pas obligé d’en tenir compte. La malice paysanne qu’il alliait à ces façons de fougueux sans gêne, les palliait mal, parce qu’elle manquait de tact. Catulle Mendès l’appelait « un tartufe du Danube ». En fait, par son caractère comme par son talent, Cladel fut un irrégulier, presque un réfractaire. Ajoutez à cela qu’il n’était pas homme d’élocution, et c’est assez pour comprendre qu’il ne se mêlât pas aux réunions intimes du Parnasse, qui d’ailleurs lui pardonnait mal d’admirer autant le Coppée du Petit épicier de Montrouge que le Maître du Dies Iræ.

Alors que Cladel se tint presque constamment à distance du salon de Leconte de Lisle, si même il en franchit jamais le seuil, Verlaine s’efforça d’y venir familièrement. Il y parut avec Xavier de Ricard, auquel il avait été présenté par Edmond Lepelletier et dont la mère réunissait, boulevard des Batignolles, en des réceptions très suivies, toute une jeunesse plus ou moins tournée vers l’Art et vers les Lettres. Louis Xavier de Ricard était alors un grand garçon de vingt-trois ans, qui prenait son élan vers la vie, le nez au vent de toutes les belles chimères, de toutes les nobles illusions. Son père, le marquis de Ricard, fils d’un colon qui fut un administrateur de la Martinique, avait été, sous l’Empire, le premier aide de camp du prince Jérôme, dont il a tracé dans des mémoires posthumes un portrait peu flatté. Sous Louis-Philippe, il s’était distingué dans les guerres d’Afrique. Nommé général en 1845, à cinquante-huit ans, il avait soixante-dix-neuf ans en 1866, et ne quittait plus le fauteuil où la retenait vieillesse.

Beaucoup moins âgée, la marquise de Ricard était une aimable maîtresse de maison. Elle recevait sans plus de prétention que de choix et semblait assister à ses soirées pour son propre compte, tant elle prenait plaisir à voir autour d’elle des jeunes gens épris de ces divertissements mondains dont l’art est le prétexte et dont elle n’abandonnait pas sa part. On jouait chez