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fort de la bataille, on se comptait entre cerveaux de combat et, si l’on fit grâce à quelques-uns en faveur de leur respect souverain de l’art, on serrait cependant les rangs dans le groupe, dont on s’efforçait de garder la cohésion.

Des surprises ne purent être évitées. On présentait à Leconte de Lisle des jeunes gens qu’il ne connaissait pas et dont quelques-uns furent de fort médiocres productions ; mais les non-valeurs étaient rares et ce qui précisément fit l’intérêt du salon c’est que bien des natures d’esprit y passèrent et qu’un très petit nombre y réussit.

Le soir où Jules Andrieu vint pour la première fois, Louis Ménard était présent et l’on parla de la Grèce. Doué d’une réelle puissance de mémoire et pourvu d’une grande variété de connaissances, préparé par une suffisante culture, Andrieu se prit à raconter ce qu’il savait sur le génie des anciens grecs, sur l’évolution de leur civilisation ; toutefois il ne put se défendre de trop longs développements étrangers à l’ordre de la discussion et s’attarda dans les digressions. À la manière d’un conférencier, il répondit surabondamment aux objections que lui présenta Ménard et comme s’il faisait un cours ou devait des explications ; puis, s’apercevant qu’il fatiguait, il ajouta : « Je m’étends sur cette question devant un homme dans les œuvres duquel je l’ai apprise. » La chute était habile et propre à ramener les suffrages ; mais, en fin de compte et dès son début, Andrieu n’avait pas plu. Son effort pour paraître supérieur ne lui conquit même pas l’égalité d’estime sans laquelle on ne pouvait être vraiment de la maison. Ayant l’ambition qu’on le considérât en poète et ne parvenant point à se faire accepter comme tel, il en souffrit et ne reparut pas. Son échec dans le salon de Leconte de Lisle fut la contre épreuve de son échec dans la littérature où d’autres, beaucoup moins intelligents que lui, parvinrent à prendre rang. Léon Cladel et Paul Verlaine furent de ceux-là.