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aux mêmes plats. Entre connaissances on se rapprocha ; Catulle Mendès offrit les liqueurs ; des petites tables on en fit une grande ; la conversation s’anima vite et, dans cette rencontre d’esprits particulièrement distingués, Andrieu se montra très brillant. Il était vraiment intelligent.

Sous son apparence de petit homme gras, aux cheveux ébouriffés et très gesticulateur, il contenait mal, avec une grande force d’exaltation, tous les élans d’une âme poétique ; mais il sentait trop vivement les choses pour pouvoir les exprimer simplement et, quand il écrivait, sa période manquait parfois de suite et sa phrase de clarté, tant l’ivresse de la plume lui faisait perdre la notion de la forme exacte ou la logique de la déduction. Très capable d’imaginer des aperçus de critique lucide, lumineuse même, il ne parvenait pas à les rédiger nettement et l’on disait que son meilleur livre était un Traité de la natation, qu’il avait composé pour gagner cent francs ; car, sachant si peu nager qu’il se serait noyé dans une cuvette, il avait bénéficié de sa parfaite ignorance du sujet. Au rebours du célèbre précepte : ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, il était trop emporté pour s’arrêter à traduire en style pondéré les notions qu’il possédait à fond. Nul plus que lui ne parut justifier ces théoriciens qui prétendent que les hommes d’art doivent rester les maîtres de leur émotion.

Il avait connu Desbarolles, auquel il devait une initiation assez complète de physiognomoniste et de chiromancien, si bien qu’à vingt ans il publia chez Tarride le Crâne, la Face et la Main. Il était donc assez avancé dans la théorie, mais il se perdait dans la pratique et ne réussissait à déterminer exactement le caractère des gens d’après leur visage que s’il les voyait pour la première fois et s’il les regardait en indifférents. Pour peu qu’il les connût davantage, influencé par les sympathies ou les antipathies, il obéissait à la direction de ses calculs d’esprit qui dévoyaient son