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Devant la lune errante aux livides clartés,
Quelle angoisse inconnue, au bord des noires ondes,
Faisait pleurer une âme en vos forms immondes ?
Pourquoi gémissiez-vous, spectres épouvantés ?

Je ne sais ; mais, ô chiens qui hurliez sur les plages
Après tant de soleils qui ne reviendront plus,
J’entends toujours, du fond de mon passé confus,
Le cri désespéré de vos douleurs sauvages !


Le cri désespéré des chiens n’était probablement qu’un aboi ; car certaines espèces domestiques, dont une variété se trouve aux pays nègres, n’aboient pas plus que n’aboient les chiens demeurés à l’état sauvage ; ils jappent, clabaudent, appellent ou crient en ululant ; mais tout avait grandi d’impression pour Leconte de Lisle, au cours de ces voyages datant des jeunes années.

En arrivant à Sainte-Hélène où le navire faisait escale, il eut la vision d’un immense tombeau. Évidemment le souvenir de Napoléon et la triste fin du grand homme imposèrent à l’esprit de Leconte de Lisle cette évocation funèbre qui, depuis trois quarts de siècle, a hanté bien d’autres voyageurs avant lui. Dressé sur les pans abrupts du roc noir et rougeâtre qui s’élève de six-cents mètres au-dessus des lames, Sainte-Hélène peut apparaître à ceux qui la voient du large, comme un colossal cénotaphe émergeant des eaux ; mais elle n’est pas pour cela l’île sépulcrale et stérile, l’île de mort, dont s’effraie notre imagination. Bermudez, grand traqueur de fausses légendes, qu’il appelait « les duperies de l’histoire », s’efforcait de remettre au point la véritable physionomie de l’île qui, loin d’être aride et malsaine, est une station sanitaire recherchée des malades. La chaleur n’y dépasse pas en été celle de l’Angleterre, l’écart du chaud et du froid est très faible relativement aux sautes de température dont est coutumière notre vieille Europe. Des pluies abondantes entretiennent la fraîcheur dans les