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des Dames et du Régime, l’enfant gâté de la Presse gouvernementale et des Directions subventionnées, devenait, grâce au jeu de circonstances qui marque les débuts heureux, un attaché de cabinet du comte de Morny. Ses appointements s’élevèrent à six mille francs et vraiment, en tant d’années de caressants et nourrissants succès, je ne vois pas de place pour la vache enragée. C’était beaucoup mieux que la soupe et le bœuf ; c’était le homard en salade plusieurs fois par semaine et la bouteille de Bordeaux tous les jours.

Je sais bien que, très joliet de sa personne, vif, ardent, assez viveur, excessif même dans ses passions, ne fût-ce que pour les petites fêtes et les soupers carrés, Alphonse Daudet pouvait considérer comme un état de gêne ce qui pour d’autres, pour un Glatigny, pour un Villiers de l’Isle-Adam, pour un Leconte de Lisle même, eût été la richesse. Quoiqu’il affectât le laisser-aller, les grosses cravates bouffantes et les chapeaux en casseur d’assiette, il était beaucoup mieux mis que la plupart des gens de Lettres et, lorsqu’il épousa Mlle Allard qui, disait-il alors, apportait cent mille francs de dot, il se fit, dit-il encore, inscrire au contrat de mariage pour douze mille francs de gain annuel. Je m’en rapporte à ce qui fut connu de tous sur ses déclarations et j’ajoute que, d’après les apparences qui pouvaient être en partie vérifiées, la somme évaluée pour le gain ne parut à personne majorée. Or il se maria jeune à vingt-sept ans et dès lors fut très à l’aise ; mais, je le répète, les succès et l’argent que les succès comportent l’avaient surpris imberbe ; quand et comment aurait-il eu le temps de connaître la vraie détresse, la détresse d’un Glatigny, dont le budget se maintint longtemps au taux de trente sous par semaine, moins de cinq sous par jour, pas même le fond de bourse normal pour ce juif-errant des Lettres.

On comprend qu’en voyant Daudet répondre sur