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n’en citer qu’une, sous prétexte que la femme a la transparence des matins qui commencent ou la fraîcheur de la plus fraîche des fleurs, je ne sais quels étranges adeptes allaient proposer d’employer l’un pour l’autre les mots femme, aurore et rose, ce qui devait s’appeler « la permutation symbolique par interchange de noms ».

Ainsi, ce soir-là, les adversaires de l’abstrait semblaient avoir démontré combien la recherche en est dangereuse en poésie. Mallarmé, toujours enclin à se tenir sur la réserve, n’était pas encore intervenu dans la discussion ; pourtant elle l’intéressait si directement qu’il ne pouvait guère la laisser passer sans en prendre prétexte pour développer quelques-unes de ses idées. Après avoir insisté sur la valeur musicale des mots et le rôle des sonorités, il parla du mystère qui suggère le rêve et, sur ce thème, il énonça la plupart des axiomes qu’il a répétés si souvent et sous la même forme, presque invariablement. « La poésie doit être une énigme ; le charme est d’en deviner le sens. L’art consiste à dégager la notion pure. Il ne convient de décrire les choses que par leur réminiscence, » formule qu’il complétait par cette autre : « ne pas nommer pour suggérer ». En cette allure sentencieuse des phrases, la profession de foi de Mallarmé prenait un certain caractère d’oracle delphique, qui, depuis quelques instants, semblait agacer l’un des assistants. Celui ci, naïf à la rude franchise était de ces expansifs à forte impulsion qui, de toute leur vie, ne savent se garder du danger de penser tout haut. Ennemi des nouveautés chimériques et partageant l’aversion de Leconte de Lisle pour les essais décadents, il crut se mettre d’accord avec l’esprit de la maison en exprimant son sentiment ; mais il ne resta pas maître de soi, ne sut retenir un geste de violente apostrophe et, se levant presque mécaniquement, il s’écria : « Mallarmé, savez-vous où cela mène l’abus du non-dire pour le dire, le délire de l’indirect, du non-