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que, tout en participant d’un désir de réalisation supérieure, l’obsession de vague et de mystère atteindrait un jour au dernier degré de l’éréthisme mental, de la démence symboliste. Et ceci me rappelle un autre incident qui fit quelque sensation dans le salon de Leconte de Lisle.

C’était à la suite de l’article qu’avait écrit Anatole France sur l’essence objective de la poésie et qui retint ce débat ouvert au cours de plusieurs soirées du samedi. La poésie vit-elle de concret ou d’inconcret ? Peut on chanter l’abstrait en poésie ? Oui, soutenaient les partisans de l’inconcret qui citaient comme magnifique exemple de poésie abstraite les poèmes de Schiller, la Fuite de Prométhée vers le monde idéal. Non, ripostaient les adversaires, en exposant à quel vertige l’esprit se laisse entraîner dans le domaine de la fiction pure, qui devient aisément un royaume des ombres, l’empyrée des éblouissements et des tournoiements visionnaires. Et, d’arguments en arguments, ils en étaient venus à rappeler les délirations abstractives de plusieurs poètes, notamment celles de Théophile Gautier et Baudelaire, deux concrétistes cependant, qui prétendaient, à leurs heures d’ivresse intellectuelle, que la sonorité de certains mots correspond aux couleurs, aux parfums, aux notations de la musique, aux orients des gemmes, à l’éclat des pierres précieuses et des escarboucles. Conséquemment ils attaquèrent la doctrine symboliste qui commençait à prendre corps, à se formuler en règles précises avec ses « fictions évocatrices « et ses « équivalences figuratives ». Déjà, par l’application des principes nouveaux, les néophytes avaient adopté quelques expressions réduites à la quintessence de l’image et qui tendaient à se consacrer comme des prototypes, « les soirs de glaive » pour les rayons dardés du soleil couchant, « les chairs de nimbe » pour la clarté des belles carnations. C’était l’acheminement vers d’autres fantaisies encore plus particulières ; pour