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— Un enfant peut-être un peu précoce, répliqua l’ami.

Mais Mallarmé, tout occupé de ses pensées, ne s’arrêtait pas aux pensées des autres et, suivant pour l’instant celle qui l’absorbait, il ajouta :

— La preuve en est que Lemaître a compris et parfaitement compris.

En effet Lemaître s’était à son honneur tiré de son déchiffrement, mais il n’avait pas quatre ans, il en avait alors quarante et possédait, sans préjudice de son intelligence, un des esprits les plus subtils que compte notre temps. L’ami n’en fit pas la remarque. À quoi bon se heurter davantage à l’énergie passive d’un illuminé.

Ce fut le propre de Mallarmé de rester insensible aux critiques par lesquelles tant d’autres se laissent détourner de leur voie ; ayant adopté l’esthétique du Parnasse, il en surmena le principe et tendit son esprit vers la théorie de l’indirect avec une telle force d’hypnotisme qu’il dénatura fatalement cette théorie, dont il représente l’excès logique, le dogme exacerbé. Juste en deçà, tout système peut se fausser au delà.

Leconte de Lisle n’entendait pas qu’on fit remonter à la doctrine qu’il professait un tel produit de sursaturation cérébrale. La loi du Parnasse, la règle fondamentale de l’expression indirecte et du prolongement poétique allait-elle aboutir à cet abîme d’esprit ? Et, pour ne pas être obligé de reconnaître la filiation, il s’en tirait par une affectation de mépris : « Je n’y comprends rien, » s’écriait-il sur un ton de violente fâcherie qui signifiait : « Je suis résolu à n’y jamais rien comprendre. Laissez-moi tranquille. »

Plus juste, Villiers de l’Isle-Adam admirait Mallarmé ; car, doué pareillement d’une grande puissance de rêverie, il avait avec lui de sérieuses affinités. Toutefois il le considérait comme un dangereux modèle pour la cohorte des jeunes gens qu’un tel précurseur allait conduire à la cacophonie. Il prévoyait