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a fait désirer, celle que notre faiblesse nous a fait subir ou, dans le sens opposé, celle que notre droiture d’instinct nous a fait choisir, n’a-t’on pas en Mme Mallarmé la preuve que, pour la conduite essentielle de la vie, Mallarmé fut guidé par un jugement très ferme et très sûr[1].

Comment avec des qualités d’esprit si raisonnable put-il produire des œuvres considérées par le plus grand nombre comme des défis jetés au sens commun. Même en ses vers les plus abstrus, dont le déchiffrement semble au lecteur profane une énigme impénétrable, son idée première, l’idée de dessous est comme sa conversation simple et concrète. Mallarmé commence par penser en clair. Il ne torture pas non plus le sens des mots, auxquels il laisse leur valeur courante. C’est par la façon de rendre sa pensée, par le désir de lui donner un tour supérieur, ultra-expressif, qu’il la rend occulte. Il la conçoit dans le jour et la formule dans la nuit.

Et de même que chacune de ces idées est au début foncièrement nette, de même le principe général dont il procède est théoriquement exact : Pour que la poésie soit, pour que l’œuvre littéraire existe, il faut que, par un effort d’art, elle s’élève au-dessus de la forme orale ou de la prose écrite. Autrement pourquoi choisir un moule complexe et délicat, s’imposer toute la gêne prosodique du rythme, de la mesure et de la rime, si ce n’est pour en tirer quelque chose de plus noble et de plus beau que le parler vulgaire ? Le vers de Musset (combien on pourrait en citer de ce poète) :


Or le lit sur lequel Hassan était couché


  1. Ne fût-ce que pour la voir continuer à sa veuve, qui ne serait heureux que le poète eût, de son vivant, reçu la pension d’homme de Lettres. Assez rarement l’État s’honore en honorant, chez la femme, les plus belles vertus.