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envergure, un cerveau de métaphysicien, il dut tirer du petit monde ambiant la matière de ses idéalisations. C’est ainsi que, pour lui, la femme ne représentait guère qu’un aspect, quelque chose comme la plus belle apparence de la terre. Trop cérébral pour considérer de l’amour les seuls élans physiques, les contacts et l’étreinte, il ne s’élevait cependant pas dans la contemplation féminine en des envolées supérieures ; mais il vivait sur ses ailes, entre plage et ciel, à demi-vol, et l’instant où son pied touchait le sol équivalait au temps qu’il pouvait consacrer à l’amour.

À cette nature plus imaginativement sensible que vraiment tendre, qui se réfugiait douillettement dans son rôve et qui demandait à s’y laisser bercer, une compagne active et d’énergique dévouement, la véritable épouse était nécessaire. Ce fut l’unique bonheur de Mallarmé de rencontrer en Angleterre la fille d’un instituteur Wurtembergeois, une de ces nobles gardiennes de la vertu domestique qui sont pour le mari plus qu’un soutien, une sauvegarde. Je ne crois pas qu’aucune autre femme de Parnassien ait réuni plus de respects et de légitime considération. Refusant toutes les invitations pour n’avoir pas à les rendre et pour éviter les dépenses de toilette, elle consentit à ne jamais paraître. Son mari l’entraîna deux ou trois fois chez Leconte de Lisle avec sa fille ; il ne put parvenir à lui faire prendre goût à ces sorties. Elle ne pensait pas que ce fût là sa part, car elle avait accepté l’autre, la tâche à la maison avec un courage supérieur à ses devoirs. Elle s’y est usée sans se plaindre. Près du lit de son fils, qui mourut à huit ans d’un rhumatisme articulaire après trois mois de souffrances, elle fut admirable de sacrifice et, depuis lors, atteinte dans sa santé, malgré les soins que lui donne sa fille elle est restée languissante. Si véritablement nous avons tous la femme que nous méritons, celle que notre caprice ou notre vanité nous