Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans doute cette psychologie compléterait admirablement la grande figure de Théophile Gautier, dont Judith est trois fois la fille par le sang, par la beauté, par l’intelligence ; mais encore une fois elle ne saurait être écrite que complète, absolue, toute d’un bloc, comme elle se présente. Ne m’y croyant pas autorisé, ce n’est pas sans les plus vifs regrets que j’y renonce.

Je sais bien que certains théoriciens condamnent ce genre de recherches. Qu’importe pour nous de savoir ce que fut l’auteur d’une œuvre, comment il a vécu, de quelles facultés vient sa force créatrice : c’est son œuvre seule qui nous importe, car les siècles successifs qui la lisent et qui l’admirent la transforment et la recréent suivant les façons de comprendre et de sentir qui leur sont propres. Et ces théoriciens posent ainsi le problème : qu’est-ce que la connaissance de l’existence physique ou morale de Virgile ajouterait pour nous aux joies littéraires que l’Énéide nous procure ? Rien, répondent-ils ; qu’en savent-ils donc ? Puisque d’âge en âge les esprits en sont réduits à renouveler selon des procédés de critique temporaire et selon des modes d’époque éphémères la pensée première d’un auteur, n’auraient-ils pas avantage à posséder un guide qui leur fixât l’intelligence précise des beautés dont le sens divin, le sens voulu par le génie leur échappe. Ils s’acharnent à la poursuite de cette compréhension, en possession de laquelle ils croient être et que le siècle suivant dénonce comme une incompréhension. D’ailleurs, pour l’homme, le plus attachant spectacle n’est-il pas celui des hommes et, s’il nous était donné de connaître une œuvre non seulement en son apparence passagère mais à travers l’être qui l’a conçue, ne s’humaniserait-elle pas pour ainsi dire et ne nous pénétrerait-elle pas d’une émotion plus profondément vraie. En tout cas et pour en finir avec un début qui ne saurait se prolonger ici, l’œuvre d’un Virgile, si sublime d’harmonie lucide, n’a peut-être pas besoin d’être éclairée, complétée par la connais-