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grisé par les parfums de la chevelure, Barracand sut paraître satisfait de ce qu’on lui donnait, de jolies étincelles.

Et ce n’est pas seulement en faveur de Barracand que j’ai rapporté l’anecdote, mais plus encore à l’honneur de Judith ; car, si cette admirable Judith put exercer, comme en se jouant, son empire sur les hommes sans avoir trop à souffrir de l’excès de leur admiration, si par exemple elle avait inspiré tant de respectueuse réserve à Barracand c’est que le plus souvent elle dépouillait sa heauté d’indolence, ses airs de Junon lasse, pour s’envelopper du calme grave qu’elle tenait de son père et que complétait sa belle hérédité cérébrale. Par sa sérénité plastique, par son instinct littéraire elle imposait sa souveraineté même aux poètes ; elle fut l’unique femme à qui Victor Hugo rendit visite après qu’il fut revenu d’exil ; de même il fit pour elle les deux seuls sonnets qu’il ait, je crois, écrits. Quant à Leconte de Lisle, pendant longtemps il ne put voir sans émotion cette olympienne qu’il considérait comme une puissance féminine et dont la forme matérielle, rappelant l’idéal antique, le fascinait.

J’ai dit qu’elle devait sa beauté physique à son père, auquel elle se rattachait par ses dons intellectuels. D’elle à lui la communion était étroite et l’on a souvent répété qu’il redoutait de la marier parce qu’il avait peur de perdre en elle une précieuse collaboratrice. Je ne sais si ce fut le vrai mobile et si Gautier ne refusa simplement parce qu’il ne s’était pas mis dans l’idée de consentir ; mais la précision avec laquelle ce bruit prit consistance prouve que le fond n’en paraissait pas alors absolument invraisemblable.

Gautier adorait Mendès ; il n’avait pas trouvé, sur ses vieux jours, une nature d’esprit qui fût plus en rapport avec la sienne ; et cependant, lorsque lui fut présentée la possibilité d’un mariage pour sa fille