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militant de la vie. Loin de soutenir à Paris l’attitude réactionnaire occasionnellement prise en province et de se faire hardiment le champion d’une cause à laquelle le liait désormais une concession première, il obéit paresseusement à son goût pour le tranquille bien-être des neutralités et, tout en continuant à fréquenler la noblesse dauphinoise, il composa des récits de demi-nuance pour une librairie d’éducation républicaine. Il ne s’aperçut pas de ses oscillations. C’est que Barracand n’est pas de ceux qui se dirigent ; il s’abandonne à la brise qui le pousse et qui l’amuse. Naturellement docile aux entraînements, épris des conventions pourvu qu’elles soient aimables, prêt à toutes les indulgences à l’égard de la morale du monde (et l’on sait si cette morale est immorale), il s’est laissé ballotter sur le flot sans jamais songer à jeter les yeux vers la rive ; mais ce qui l’a sauvé du naufrage, c’est une sorte de pudeur inhérente à son fond de délicatesse et que le séjour en province a gardée longtemps à l’abri des dangereux contacts. Cette pudeur est sa force ; elle l’empêche de trop oser, l’éloigne instinctivement des mauvais courants où sa faiblesse eût pu le faire sombrer. Bien qu’il puisse aujourd’hui compter plus de seize années passées à Paris, il est resté non seulement provincial, mais, ainsi que le lui disait Leconte de Lisle « départemental ». Par sa douceur et par sa bonhomie, par sa modération, par sa patience en face du sort, comme par la bonne opinion qu’il avait de sa personne et par cette terreur d’être dupe qui le jette dans la duperie même, il est dauphinois de la Drôme, de même que par certains restes de complexion naïve, il est du chef-lieu de canton. Et cependant, puisque j’ai parlé de Barracand à propos d’une comparaison avec Heredia, je dois ajouter qu’au regard du Parnasse le départemental, fils d’un bourgeois campagnard, ne paraissait nullement étriqué près du descendant des premiers conquérants de l’Inde, près du brillant fils du soleil né sur