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quer par un signe qu’il prenait parti. Sur la dernière phrase, il se redressa. Certes il estimait en Heredia le marteleur dont la frappe est franche et sûre, mais il n’admirait pas sans réticences et se trouvait singulièrement gêné par le syllogisme irréfutable qui décernait à l’un de ses élèves le rang du plus grand poète de notre temps. D’autre part il n’osait répudier la thèse qu’il avait soutenue de ses encouragements ; à sa manière il s’en tira par une malice de détour :

Heredia, mais il est mort en 1840.

Il jouait d’homonymie sur un compatriote d’Heredia, sur un José-Maria du même nom et du même prénom, mort non pas en 1840, mais en 1839 et que les Hispanos-américains célèbrent comme leur plus puissant lyrique. Chez Leconte de Lisle, sans doute pour le mieux opposer aux nôtre, on prêtait à ce José-Maria le souffle large du patriotisme, l’âme héroïque de la Castille, et l’on citait de lui certaine Ode à la Tempête dont on vantait l’élan grandiose. Je ne saurais dire si pas un des Parnassiens avait lu cette ode avant de l’admirer ; mais, à coup sûr, la boutade de Leconte de Lisle ne signifiait pas qu’il en fût enthousiaste. Adversaire déclaré des Muses patriotiques, il ne voulait pas que le vers quittât les hauteurs sereines pour descendre dans l’arène de la lutte et, s’il détestait la poésie mièvre, telle que la comprennent les femmes avec l’oiseau qui chante sous le ciel bleu, le zéphir qui bruit à travers la ramure et les amoureux enlacés qui marchent par les sentiers de mousse au bord du ruisseau qui murmure, il n’avait pas plus d’attirance pour les poèmes trop virils qui risquent de forcer le ton et d’exagérer le geste dans les promiscuités des combats. Jamais il n’a semblé comprendre qu’un poète de la patrie, capable d’entraîner les aspirations des races vers l’esprit de l’avenir, serait une force active des destinées futures et, sublime initiateur, répondrait à la mission d’un très grand poète, peut-être du plus grand des poètes. Et