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choses changent, leurs apparences se modifient et seul le spectacle de leur transformation peut suggérer à l’art des réalisations variées. » Thèse spécieuse qui fit accuser Anatole France d’avoir renié l’invention en poésie, parce que cette faculté manquait précisément à son génie ; on prétendit que, dédaigneux de ce qu’il ne savait faire, il érigeait en principe ce dont les Parnassiens et lui se croyaient le plus capables, c’est-à-dire de rendre exactement les aspects changeants et le mouvement de la vie. Là fut la duperie. Loin d’être le peintre précis qui voit vrai, France perçoit les objets du monde extérieur à travers un miroir intérieur qui les transforme, et son prisme cérébral, sur lequel ces objets viennent se décomposer, les illumine et parfois les grandit. Si réellement sa théorie lui fut inspirée par cette tendance naturelle qu’ont tous les artistes à mettre leur rhétorique d’art en accord avec l’idée qu’ils se font de leurs moyens, c’est qu’il se trompait sur ses propres facultés et valait beaucoup mieux que ce qu’il croyait valoir. Et son erreur, issue de lui-même, fit illusion aux jeunes lyriques qui le suivirent. Imaginant que son talent était la conséquence de ses principes, ils pensèrent que renchérir sur ces principes les conduirait à renchérir sur le talent. Après Théophile Gautier, après Flaubert et Baudelaire, Anatole France, avec d’autres Parnassiens, avait dit : « C’est assez de peindre en poésie. » Les nouveaux venants ont ajouté : « C’est assez qu’on chante ; les vers ne sont pas faits pour exprimer quelque chose ; la divine poésie se suffit à soi-même. En exigeant qu’elle pense ou simplement qu’elle peigne on la rabaisse, car on réclame d’elle un office ; elle est reine et non pas servante. » Aimables extravagances, engendrées à travers le Parnasse contemporain par les sophismes romantiques et qui réduisent la poésie à l’expression rythmique de simples sons. Elles ont donné naissance à ces vers de nouveau moule, purement phonétiques,