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insensibles au point de décourager les plus délicats de leurs adorateurs. À force de voir consacré par les mœurs et par la tradition l’odieux écrasement du faible, il en arrivait à ne plus concevoir que la dégradation humaine.


La honte de penser et l’horreur d’être un homme[1],


telle est l’idée qu’il exprimera plus tard en ses plus beaux vers. C’est l’instinctive protestation de son intelligence généreuse, à qui rien n’apparaît de bon dans la vie hors de la justice et de la liberté. Tandis qu’il dépérissait de son dégoût humanitaire à Saint-Denis de Bourbon, il était trop jeune pour avoir fixé ses formules ; mais, s’il hésitait encore pour savoir s’il accuserait Dieu du mal universel ou s’il en attendrait un avenir meilleur, du moins il avait déjà précisé ses convictions égalitaires. Il a vraiment, dans le même sens que Lamennais, l’esprit de liberté ; il a de plus les dons supérieurs de poésie que n’a pas Lamennais, et, pour avoir mis ces dons au service des plus hautes pensées et des sentiment les plus purs, il s’est assuré parmi ses contemporains une incontestable grandeur.


Sus ! sus ! La coupe est pleine et déborde. Debout,
Les forts, les purs, les bons, car le monde est à bout[2] !


  1. À un poète mort : Poèmes tragiques.
  2. Paraboles de dom Guy : Poèmes barbares.