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de fond. Et voilà pourquoi, tel que je l’ai dépeint, fantasque dans la vie réelle, rêveur interplanétaire dans l’intellectuelle, il occupa tant de place dans l’estime et dans l’intimité de Leconte de Lisle. On s’en est étonné. Comment celui-ci, tempérament concret, étranger à la plupart des abstractions, imaginatif de seconde sphère, peu rêveur et physiquement pondéré, put-il entrer en communion avec la transcendantale exubérance de Villiers ? Tout semblait les séparer. Villiers fut, ainsi que je l’ai dit et dans toute la rigueur du terme, un illusionniste. Selon lui, la réalité n’est qu’une apparence et ce qui constitue la supériorité pour un être, c’est la faculté de concevoir comme réel l’irréel, de pouvoir évoquer en tableaux de vérité les mondes imaginaires. Exaltée par les exigences de cette incessante transposition, la pensée se dégage des considérations inférieures ; elle quitte la terre pour errer dans la plus belle patrie de l’esprit, au royaume des fictions ouvert à tous les enchantements de l’idéal. L’être, qu’illumine une sorte de rêve sidéral, devient meilleur ; il s’ennoblit, se subtilise, se divinise, affirmait Villiers ; disons moins ambitieusement et comme Villiers encore, en inventant un mot, « se sublimise. »

Cette foi dans la vertu suprême de l’Illusion n’avait jamais intéressé Leconte de Lisle que pour le temps d’une pièce de vers, de quelque imitation bouddhique à composer. Villiers, au contraire, en avait fait la condition de son existence. Chez lui la rêverie montait, planait sans effort et, tandis que Leconte de Lisle, regardant la vie de plus bas, y découvrait mille raisons de pessimisme, Villiers s’avançait dans l’éblouissement d’une perpétuelle espérance.

Ce n’était pas leur seule vue divergente. Leconte de Lisle était obsédé de phobie catholique ; Villiers s’intitulait le défenseur de la religion ; il n’admettait pas qu’un comte Villiers de l’Isle-Adam eût le droit d’arborer une autre bannière ; mais il inscrivait sur la