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femmes comprenaient (elles ont le don de comprendre surtout ce qu’on n’explique pas), elles comprenaient qu’il avait voulu dire : « Ah ! si je faisais de pareilles trouvailles d’esprit ! » Et naturellement elles n’étaient pas fâchées de se voir révéler une façon de génie qu’elles ne se soupçonnaient pas.

Bien entendu, son opinion intime était absolument différente, car il agit et pensa toujours comme s’il voulait réaliser son propre contraste. Il en restait, pour juger les femmes, à son Ève future, créature plastiquement belle et qui ne peut posséder l’autre beauté, celle de l’intelligence, qu’à la condition d’être mécaniquement construite et de répéter phonographiquement des discours préparés par un homme. Mais, tout en méprisant les femmes dans leurs manifestations cérébrales, Villiers tenait à ce qu’elles eussent pour lui de l’admiration ; il leur en accordait pour en recevoir et savait user habilement de cet artifice ; car il se fit pardonner par elles ce qu’elles ont le plus de peine à tolérer chez un homme, la tenue négligée.

Villiers, dès qu’il touchait quelque argent, s’habillait magnifiquement et, pour ne pas déparer une mise si fastueuse, il la complétait par des bottines de quarante francs. Trois jours après, toutes ces somptuosités avaient passé dans la boutique du revendeur. On revoyait Villiers avec un pardessus râpé, la chemise fripée, le reste à l’unisson. Eh bien, si l’en venait à signaler cette déchéance à l’une des femmes qu’il avait conquises cérébralement, elle répondait invariablement : « C’est vrai, mais c’est un des très rares hommes qui peuvent être sales sans qu’on s’en aperçoive. » Une autre, très mondaine, par conséquent très élégante, accueillit par une réplique analogue cette remarque insidieusement faite que Villiers avait une chemise particulièrement défraîchie : « Oui, seulement il la porte si bien ! » C’était vrai, Villiers savait porter le linge sali, tant, dans l’abandon même